Encore de nos jours, bien que, depuis quelques temps, l’Etat fasse la promotion de l’apprentissage, l’orientation de nos jeunes vers des formations professionnelles de types CAP, BEP, voire Bac pro est encore trop souvent considérée comme une voie d’aiguillage des recalés de la filière générale. Heureusement, l’apprentissage est bien perçu dans les études supérieures et la montée en compétences peut aussi être reconnue avec l’obtention d’un VAE (Valorisation des Acquis par l’Expérience).

Ce dénigrement à l’école (et souvent à la maison aussi) des filières pro et manuelles, dès le collège, est pénalisant pour le secteur du bâtiment alors qu’elles ont toutes leur place sur le marché du travail et qu’il y a de gros besoins de professionnels qualifiés et sensibilisés à la sobriété énergétique, en qui nous pourrions faire appel en toute confiance pour la rénovation du parc immobilier. Ce sont généralement des métiers difficilement délocalisables, qui méritent d’être mieux valorisés. Le retour en grâce de l’apprentissage est une réelle avancée, mais encore faut-il que les apprentis soient réellement motivés par ces métiers plutôt manuels, souvent beaucoup moins confortables que de travailler dans un bureau avec un ordinateur. Pourtant, atteindre l’objectif très ambitieux du BBC (Bâtiment Basse Consommation) en 2050 pour tout le parc immobilier nécessite un sérieux renforcement de filières diplômantes avec une partie très opérationnelle, une meilleure maitrise des outils numériques et une sensibilisation aux impacts sur l’environnement des équipements et produits proposés sur le marché.

La formation continue, essentielle pour monter en compétences, n’est pas assez développée en France alors que les techniques évoluent très vite et que des acquis peuvent (doivent) être remis en cause.

Les techniques sont de plus en plus complexes et requièrent des compétences multidisciplinaires, comme par exemple pour un chauffagiste, qui a priori doit régulièrement se perfectionner en plomberie, électricité, électronique, voire en ingénierie en thermique, thermodynamique, hydraulique, informatique, sans compter les connaissances à acquérir en entreprenariat pour ceux qui veulent se lancer à leur compte. L’installation et la maintenance d’une Pompe à Chaleur (PAC) est un exemple de systèmes compliqués à maitriser, voire inadaptés à la configuration de certains bâtis, mais très souvent mis en avant dans les DPE (Diagnostic de Performance Energétiques), les audits énergétiques, par le démarchage en rénovation énergétique et par France Rénov’.

Dans le bâtiment, des notions apprises à l’école peuvent être aujourd’hui complètement remises en cause suite à des retours d’expérience et à une meilleure compréhension des phénomènes physiques comme celle du comportement des différents types de murs anciens et modernes vis-à-vis de l’humidité et de la pluie battante. Un exemple, dont on parle beaucoup maintenant, est l’usage d’enduit ciment sur des murs anciens en pierre, qui génère des dommages importants au fil du temps. Inversement, il y a des techniques anciennes que nous avons oubliées, alors qu’elles sont pertinentes pour améliorer la qualité de l’air à l’intérieur et la gestion de l’humidité. Le bioclimatisme n’est pas une nouveauté. Ce principe de conception était appliqué dans les bâtiments anciens d’avant 1948. De même, l’utilisation de la terre et de fibres végétales pour les murs ne datent pas d’aujourd’hui et beaucoup d’études et de réalisations sont en cours pour remettre ces techniques en avant, comme le pisé, le torchis, etc. Actuellement, nous manquons de compétences sur les matériaux biosourcés et leur mise en œuvre, peut-être liées à des lobbies de certains fabricants de matériaux conventionnels et à une défiance, un frein de la part des artisans, des maîtres d’œuvre ou d’ouvrage par méconnaissance et aussi des assureurs. Or ces matériaux se prêtent bien à la rénovation du bâti ancien, sous réserve d’être posés dans les règles de l’art, et ils ont l’avantage d’être plus performants en période de canicule grâce à l’importance du déphasage thermique et à leur propriété hygroscopique. Mais ces matières commencent seulement à être enseignées dans les écoles. Le décret pour la rénovation des bâtiments du tertiaire et la volonté du gouvernement actuel de développer l’usage à plus de 50 % de ces matériaux pour la rénovation des établissements publiques vont pourtant nécessiter de former beaucoup d’artisans, entre autres. En tant qu’habitologues, nous expliquons l’intérêt d’utiliser ces matériaux, mais la difficulté reste, pour les propriétaires, de trouver des artisans appliquant ces produits.

Dans le secteur de l’agriculture, on commence à voir de plus en plus de champs de lin, de chanvre, de miscanthus, qui ont le mérite de réduire sérieusement l’usage d’intrants chimiques. Le niveau de connaissances progresse sur l’impact de certaines pratiques agricoles. On redécouvre l’intérêt du bocage avec des haies composées de différentes essences, dont le bois peut servir à alimenter des systèmes de chauffage ou à fournir des fibres pour isoler. On reconnaît que l’agroécologie, dont l’agroforesterie, peut donner de bons résultats, qu’il est nécessaire de revitaliser nos sols agricoles avec des solutions naturels, comme le compost ou le digestat des méthaniseurs. Les déchets agricoles deviennent des ressources pour le bâtiment, comme l’usage de la paille de céréales et d’oléagineux pour l’isolation. Sont aussi en cours des études de recherche, notamment à l’Ecole des Ponts Paris Tech avec l’Ecole polytechnique de Zürich, sur l’usage de l’urine pour amender les sols agricoles, ce qui était pratiqué autrefois dans les maraichages parisiens du XIXème siècle. C’est bien-sûr loin d’être exhaustif, mais ces exemples montrent que l’on peut rénover avec des ressources locales, qui constituent des produits moins énergivores que ceux d’origine minérale et pétrochimique et ces filières vont de plus en plus se développer.

L’évolution de ces métiers vers des pratiques plus durables pour la planète peut répondre à cette quête actuelle de sens des salariés.

On assiste à un phénomène croissant de perte de sens de la part des salariés.  93 % sont désengagés (enquête Gallup 2018), avec un véritable mal-être, un bore-out ou brown-out pour un certain nombre d’entre eux.  Des salariés, même très diplômés, n’hésitent pas à passer un CAP, un BEP ou un BTS pour des métiers plus valorisants comme l’agriculture urbaine, le maraichage biologique, la construction en bois et/ou en terre crue, qui font partie des cibles privilégiées malgré les difficultés pour générer un revenu décent. C’est une réponse possible à leur quête de sens et leur besoin de réaliser des actions concrètes, visibles et bénéfiques pour l’environnement. Ces métiers permettent une reconnexion avec la nature et l’utilisation de matériaux contenant des fibres végétales et/ou de la terre crue, qui ont fait leur preuve dans le passé, peut aussi y contribuer.

Retrouver le temps d’observer avant d’agir (1er principe de la permaculture), se poser les bonnes questions, se recentrer sur ce qui est vraiment essentiel et utile pour nous, la communauté, le territoire, avoir une réflexion de la conception à la fin de vie en se demandant à chaque étape comment réduire la consommation d’énergie, de matières premières, d’eau, font partie de cette remise en cause de nos façons de construire et de cultiver.

Des outils de formation sont accessibles souvent gratuitement… si le temps et la motivation sont là !

Dans le bâtiment, un gros effort a été réalisé ces dernières années sur des formations, grâce au programme PACTE avec le soutien de l’ADEME. Elles sont souvent accessibles en ligne et gratuites, comme les MOOC Bâtiments durables, très bien illustrés avec des exemples concrets, et des vidéos du CREBA avec la chaine REBAt Bio. Des formations en présidentiel sont aussi proposées entre autres par le CSTB, et QUALIT’ENR sur les énergies renouvelables. La plateforme PRAXIBAT, agréée par l’ADEME, permet des formations pratiques avec la mise en œuvre des nouveaux matériaux et des nouveaux outils. Mêmes les fournisseurs d’énergies proposent maintenant des formations qui sont gratuites, financées par les Certificats d’Economies d’Energie (CEE). Enfin, des associations locales ou nationales proposent aussi des formations plus ou moins ciblées de promotion de matériaux biosourcés et d’équipements pour produire de l’énergie renouvelable.

Dans le secteur agricole, plusieurs écoles et associations se sont aussi mobilisées pour proposer des nouvelles formations, qui peuvent être courtes ou longues et diplômantes (Uni La Salle, Ecole Dubreuil sur l’Agriculture urbaine, etc.). D’une manière générale, une revue en profondeur des formations pro et de leurs pertinences est nécessaire si ce n’est pas déjà le cas, et l’assouplissement de l’utilisation du Compte Personnelle de Formation (CPF) devrait faciliter l’accès à ces nouvelles formations orientées sur des métiers plus proches de la nature.

Il faut juste maintenant trouver le temps et la volonté pour les suivre, quels que soient l’âge et ses expériences antérieures…